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L’attractivité territoriale est-elle un mythe ?

Dans une interview accordée à La Gazette des Communes, Michel Grossetti, sociologue, professeur à l’université Jean-Jaurès de Toulouse et directeur de recherche au CNRS, déclare considérer l’attractivité territoriale comme un « non-sens ».

L’attractivité territoriale est-elle un mythe ?


La question de l’attractivité est une problématique à laquelle se retrouvent confrontés tous les territoires. Les élus, bien souvent en s'appuyant sur des agences d'attractivité et de développement économique, cherchent à valoriser les atouts de leurs territoires. C’est en ce sens que différentes politiques sont mises en place afin d’encourager entreprises et main d’œuvre à s’y installer.

Ces initiatives sont un non-sens pour Michel Grossetti qui affirme que l’attractivité est un mythe (retrouvez l’interview de la Gazette des Communes en cliquant ici). En effet, ce dernier considère que la mobilité géographique durable est surestimée par les acteurs territoriaux. Selon lui, la mobilité de court terme, en forte croissance après la crise sanitaire, est confondue avec celle à long terme qui a eu des effets nettement moins probants.

Le paradigme de l’attractivité dans les territoires

Le professeur déplore également le fait que la pertinence de l’attractivité ne soit pas réexaminée. Trois raisons expliquent la diffusion de ce « mythe » dans les collectivités :

  1. L’ensemble des littératures et des rapports présentent les collectivités comme des concurrentes dans l’attraction d’entreprises et de talents sur les territoires.
  2. L’arrivée de nouveaux talents (entreprises et ménages) ayant des revenus élevés permettrait d’envisager une croissance rapide alors que d’autres facteurs, comme les politiques mises en place prennent plus de temps.
  3. Il existe une certaine pression reposant sur les élus qui, même en ayant des convictions contraires, peuvent faire l’objet de reproches de la part de leurs administrés.

Attractivité : quels apports pour les territoires ?

Michel Grossetti reconnaît toutefois que l’attractivité a eu des effets bénéfiques sur certains territoires, en particulier dans les grandes collectivités. Il évoque des « cas spectaculaires » d’entreprises qui s’installent et créent des emplois grâce aux politiques facilitatrices des collectivités. Il revient encore une fois sur la mobilité durable qui est, pour lui, surtout le fruit de réseaux de personnes et d’entreprises. En ce qui concerne les plus petites collectivités, il craint des résultats décevants pour les élus et les experts à la base de ces travaux. Il donne ainsi l’exemple de la ville de Milwaukee (Wisconsin, Etats-Unis) où les politiques d’attractivité ont, in fine, augmenté la différenciation sociale dans les quartiers de la ville.

Aborder l’attractivité autrement

Pour Michel Grossetti, comme Olivier Bouba-Olga (géographe et professeur à l’université de Poitiers), l’attractivité, la compétitivité et la métropolisation forment une mythologie, susceptible de déformer les interprétations des experts. Pour pallier cela, M. Grossetti propose des solutions plus raisonnables comme « favoriser le développement des activités déjà présentes, d’élever le niveau de formation des personnes qui résident déjà dans la ville ou la région considérée, de faire des politiques au service de tous et pas seulement de chercher à anticiper les désirs d’une élite qui amènerait la richesse de l’extérieur ». Le professeur souligne également la possibilité d’encourager l’installation d’entreprises qui viendraient redynamiser les activités locales. Il préconise toutefois des politiques ciblées et adaptées en évitant des actions couteuses, et enfin « une sélection sociale préalable dans un objectif de performance économique ».

 

Le CNER donne la parole à deux experts de son réseau

 

Si certains professionnels de terrain peuvent partager la vision de Michel Grossetti, ce n'est pas sans y apporter de nombreuses précisions et nuances. Sébastien Leduc, Responsable compétitivité des entreprises et dynamique des territoires à l'ADIRA (Agence de développement d’Alsace), admet la pertinence des points soulevés plus haut. Mais, pour lui, pour que la création d'une marque de territoire soit réellement efficace, cela nécessite en amont un vrai travail de terrain, notamment avec les entreprises déjà présentes sur le territoire, en particulier dans le cas des villes petites et moyennes.

Sébastien Leduc soutient ainsi la promotion et le développement des atouts locaux, via le travail des réseaux et l’intelligence collective. Toute une dynamique, qui, à terme, favorisera le développement économique et créera de la valeur ajoutée aux territoires.

« Il faut travailler l’ensemble du panel du développement économique et pas seulement la vitrine. »

Sébastien Leduc Responsable compétitivité des entreprises et dynamique des territoires chez ADIRA

 

Jacques de Chilly, ancien directeur de l’agence d’attractivité de la région lyonnaise (ADERLY/ONLY LYON) et expert senior pour CNER Expertise, quant à lui, nuance également les propos de Michel Grossetti.

Il reconnaît également que l’analyse de Michel Grossetti est sur le fond assez pertinente : sur un territoire les politiques d’attractivité ne peuvent être qu’accessoires aux politiques économiques centrées sur le soutien au tissu existant. On le sait, plus de 75% des emplois sont créés sur un territoire par des entreprises existantes et moins de 10% par des entreprises nouvelles s’y implantant (le reste par des entreprises en création). Et les métropoles françaises qui ont beaucoup grossi depuis 15 ans peuvent se poser légitimement la question de l’attractivité quand elles sont confrontées à des prix de l’immobilier qui flambent ainsi qu'à des contraintes environnementales ou de mobilité générées par une croissance parfois mal maitrisée.

 

Toutefois, Jacques de Chilly considère que le terme « mythe » est excessif :  d’abord parce que l'analyse de M. Grossetti est insuffisamment chiffrée ; ensuite parce que les villes moyennes et les territoires ruraux notamment sont confrontés à des pénuries de services, de main d’œuvre, de compétences, d’activités culturelles, sportives, etc., qui justifient qu’elles se préoccupent de mettre en place des politiques d’attractivité cherchant à répondre à ces enjeux.

 

Enfin, comme le dit Michel Grossetti, Jacques de Chilly rappelle que les entreprises qui s’implantent sur un territoire le font le plus souvent à partir de liens préexistants avec ce territoire. La mise en place d'un véritable marketing territorial qui favorise la mobilisation des habitants autour de ces enjeux (souvent avec l’aide de la création d’un label ou d’une marque et d’un réseau d’ambassadeurs) se révèle souvent très efficace dans l’attraction d’entreprises qui concourent à renforcer le tissu existant.

« Si elles ont une forte visibilité, les politiques d’attractivité mobilisent cependant des ressources relativement modestes par rapport aux moyens mobilisés pour le soutien au tissu économique existant. Et elles constituent un complément souvent pertinent aux politiques de développement fondées sur le développement exogène. »

Jacques de Chilly Ancien directeur de l’agence d’attractivité de la région lyonnaise (ADERLY/ONLY LYON) et expert senior au CNER

 

 

 

 

 

Serena Koubé